Snoop’s "No Limit Top Dogg"
Souvenirs d’auditeurs
Conversation entre Moïse The Dude et Monsieur Saï / Illustrations : MC Blue Matter
, le 22 septembre
Aborder une oeuvre en tant qu’auditeur - ici un album de rap - est une expérience subjective et émotionnelle plus que scientifique. Certains albums nous marquent plus que d’autres, pour des raisons qui sont autant liées au contenu de l’album qu’au contexte de sa sortie, la façon dont on y accède (surtout à une époque où le streaming n’existait pas), celle dont il est marketé et une foule d’autres paramètres. C’est cette "expérience auditeur" que j’ai voulu partager avec le rappeur Monsieur Saï, autour d’un disque pour lequel nous avons un amour commun : le 4ème album de Snoop Doog, "No Limit Top Dogg".

En Mars 1998, Snoop est une star du rap, avec deux albums à son actif : un chef d’oeuvre produit par Dr Dre, “Doggystyle” (1993) et “Tha Doggfather” (1996), un sophomore album sympathique mais moins marquant et sans participation du bon docteur.
Surtout, il évolue dans un environnement qui sent la mort, avec celle de Tupac survenue deux ans plus tôt. La vie chez Death Row, sous le règne de Suge Knight, n’est pas sereine et le beau début de carrière du chien de Long Beach pourrait tourner court, artistiquement comme... physiquement.
Le salut vient alors de la Nouvelle Orléans, quand Master P décide de signer l’Angélino sur son label, No Limit Records.
En 98, No Limit Records est une machine de guerre (un char d’assaut pour logo, logique) avec une armée de soldats/rappeurs (dont Master P lui-même) qui sortent des disques à un rythme effréné, usinés par un seul pool de producteurs, les Beat By The Pound. Chaque soldier rappant sur les albums des collègues de façon quasi systématique. Une technique marketing efficace. Snoop a affirmé récemment que Master P lui a sauvé la vie en le sortant du bourbier d’une part (il est carrément parti vivre un temps en Louisiane) et en le dissuadant de participer à un projet d’album à charge contre Death Row (fomenté par le rappeur Mack 10) d’autre part, qui aurait certainement fait peser de sérieuses menaces sur sa vie. De son côté, Master P a expliqué que son objectif n’était pas de faire de Snoop un simple soldat du label mais de lui enseigner les rudiments du business et d’en faire un entrepreneur capable de voler de ses propres ailes. Master P mentor de Snoop, une opération réussie, vu le sens du business dont fait preuve le rappeur/divertisseur depuis quelques années.
Néanmoins, sitôt dans le giron du tank, retour sur investissement oblige, Snoop doit charbonner comme l’employé du mois. Il prête allégeance au tank, arbore le pendentif réglementaire, débite bien-sûr du couplet sur les albums des autres, et enregistre son premier solo maison en trois semaines seulement : “Da Game is to be sold, not to be told”, pour une sortie en Août 98. Cover Pen & Pixel kitsch et rutilante, tracklist à rallonge, omniprésence des collègues et du patron, productions Beat By The Pound à 90% : c’est bien un album No Limit. Si ce premier opus sous bannière Louisianaise est commercialement un immense carton, il ne satisfait (trop injustement à mon humble avis) ni la critique ni ceux qui rêvent encore d’un digne successeur à “Doggystyle”.
Ceux-là seront en partie exaucés en 2000 avec le troisième - et dernier - album de Snoop chez No Limit, “Tha Last Meal”, plus proche de l’idée que beaucoup se font de ce que doit être une bonne sortie du rappeur, une bonne sortie de gangsta rap west coast tout court.
Mais entre “Da Game is...” et “Tha Last Meal” est venu se glisser, en Mai 1999, “No Limit Top Dogg”.
Un disque presque de transition, entre les sons new-orléanais et californiens, bien que le cap ait été volontairement (re)mis sur l’ouest. Un album particulier, étrangement cohérent, et bourré de pépites, qui mérite qu’on lui tresse une couronne de lauriers.
Mo The Dude : Monsieur Saï, j’ai voulu échanger avec toi autour d’un album pour lequel on partage un amour presque déraisonnable : le "No Limit Top Dogg" de Snoop. C’est un album qui est disque de platine, donc loin d’être méconnu, mais qui n’est pas si souvent cité par les fans et les amateurs, et pas toujours bien classé dans sa discographie, limite mésestimé, enfin c’est l’impression que j’ai toujours eue.
Monsieur Saï : Oui, j’ai l’impression que le fait que ce soit sorti chez No Limit Records a un peu effacé le truc dans la tête des gens, c’était juste une nouvelle galette du label. La pochette n’a pas dû aider.
Mo The Dude : C’est ce que j’allais dire. Sur la forme, même si la cover est sombre et j’ai presque envie de dire... sobre - ce qui est un choix de Snoop qui voulait un visuel plus proche de lui et de sa personnalité - elle a ce côté photoshop un peu crade des sorties No Limit, même sans le côté clinquant fake, on pense que c’est une cover typique du label. Le contenu du livret est également conforme aux standards du label, c’est-à-dire qu’il contient deux malheureuses photos de Snoop, les crédits et le reste de l’espace disponible est occupé par des visuels des albums à venir (dont certains ne sortiront jamais ou pas avec les mêmes visuels).
Monsieur Saï : Il y a même le listing des featurings directement sur la cover, ce qui est une marque de fabrique du label aussi, alors qu’en lisant les noms, il y avait Dre, Xzibit, Warren G, Nate Dogg, moitié de mecs de la côte ouest. C’était déjà un pas de côté par rapport à “Da Game is to be sold, not to be told”.
Mo The Dude : Tiens d’ailleurs, bizarrement, sur la cover de “Da Game is...” il n’y a pas le fameux listing d’invités locaux, MAIS la cover est bien clinquante WTF conformément au style de l’époque. Et c’est marrant, dans le livret de “Da Game is...” t’as déjà une annonce pour “Top Dogg” mais avec un visuel genre hyper chargé, qui ne sera pas du tout le visuel final.
Bref, comme tu dis, un pas de côté ou le début d’un retour aux sources car c’est vrai que s’il a tous les attributs d’un album No Limit, à la prod et niveau feats par contre, on retourne sur la west coast. Mais de loin comme ça, rien ne distingue “Top Dogg” d’une sortie No Limit traditionnelle, alors que Snoop me semble être un rappeur plus important que tous les autres artistes du label à l’époque. A l’exception de Master P lui-même peut-être, et ses deux frangins.
Monsieur Saï : Même par rapport à Master P. En France en tout cas, tout le monde connaissait Snoop. Alors que Master P c’était déjà plus pour les fouineurs. Moi j’étais encore vachement dans la découverte à l’époque.
Mo The Dude : Moi aussi. On va revenir sur ce pas de côté, mais avant, je voudrais que tu me dises comment tu as eu accès à l’album.
Monsieur Saï : Alors... Puisqu’on parle de découverte, mon introduction sérieuse à Snoop c’est l’album précédent, qu’on a déjà évoqué, "Da game is to be sold, not to be told..." donc son premier chez No Limit, pour lequel j’ai une grosse tendresse, je l’écoute encore.
Mo The Dude : Je l’aime beaucoup aussi, même si j’ai appris à le connaître tardivement.
Monsieur Saï : Je suis de 1985 donc "Doggystyle" n’était pas forcément parvenu à mes oreilles, à part le morceau “Gin & Juice” dont le clip passait sur M6. Donc ouais, j’avais des attentes plutôt liées aux sons des Beats by the Pound, le pool de producteurs qui assuraient la production musicale de tous les albums du label.
Mo The Dude : Ça change tout ça !
Monsieur Saï : J’ai un peu traîné pour le choper. Il n’y avait pas de bons disquaires dans la Sarthe en l’an 2000, et j’avais pas de blé, donc vers 18 ans, je l’ai trouvé dans les promos à la Fnac.
Mo The Dude : Ok, donc en décalé de quelques années par rapport à la sortie ?
Monsieur Saï : Ouais, 2/3 ans, ça paraît énorme aujourd’hui mais à l’époque ça ne m’avait pas paru hyper long.
Mo The Dude : Non, c’est vrai, à l’époque t’étais pas totalement largué si tu découvrais un truc avec un peu de retard.
Monsieur Saï : Et mes parents m’avaient abonné à Groove, ça m’a fait découvrir 10 000 trucs. Donc je savais qu’il était sorti mais j’avais dû me concentrer sur d’autres albums et il n’y avait pas de streaming donc je devais choisir avec soin où je claquais la thune que j’avais pas.
Mo The Dude : Normal, fallait faire le bon choix, un billet était précieux.
Monsieur Saï : Clairement. Je passais des plombes à écouter aux bornes d’écoute de la Fnac avant de me décider haha. Autres temps, autres modes de consommation... Mais au fait ça va dans les deux sens ou c’est plus moi qui raconte ?
Mo The Dude : Dans les deux sens. Donc, avant de te demander comment tu as perçu l’album, je vais moi-même te raconter comment j’y ai eu accès.
Monsieur Saï : Yes.
Mo The Dude : Moi pour le coup j’avais adoré “Doggystyle”, qui reste aujourd’hui un de mes albums de rap préférés. Mais je ne me le suis pas pris à sa sortie - j’avais 12 ans - c’est venu quelques années plus tard. “Doggystyle”, ça a été une révélation par rapport au son G-Funk et au flow de Snoop. En revanche, je suis passé à côté de l’album suivant “Tha Doggfather” (à un single près...) et "Da Game is..." je l’ai vraiment écouté sur le tard comme je l’ai dit. MAIS, en 1999, année de la sortie de "Top Dogg" - j’ai 18 piges -, j’achète le mag RER (“Rap & Ragga magazine”) de Juillet/Août. Snoop est en couverture. Des gens de RER sont allés le voir à L.A., pour une interview à l’occasion de la sortie de l’album. Mais ce qui m’a principalement donné envie de choper l’album, ce sont la couverture et les photos du shooting que l’on doit à Patrick Canigher. Les clichés sont supers, les cadrages, la lumière... il s’en dégage une atmosphère qui a fait fonctionner mon imaginaire à fond. En deux-trois images j’ai projeté un truc hyper fort. On y voit Snoop en voyou insolent en survêtement Adidas, il joue au billard, il fume, il prend la pose devant un panier de basket, un mur de brique. Dans ma tête, ces photos sont associées à l’album comme si elles étaient dans le livret. Elles sont d’ailleurs cohérentes avec la cover en termes d’ambiance et de couleurs. J’ai gardé le mag rien que pour ça, c’est mon trésor. Et il y a une chronique élogieuse de l’album, qui donnait envie de l’écouter.
Monsieur Saï : Je serais curieux de voir les photos !
Mo The Dude : Je te les enverrai. Pour finir sur ma rencontre avec “Top Dogg”, il y a une petite anecdote quant à l’acquisition de l’album.
Monsieur Saï : Raconte !
Mo The Dude : Je fais court : Ma mère m’a forcé à aider un de mes oncles à préparer des courriers promotionnels pour son entreprise. A l’époque, on n’était pas encore dans le mailing, c’est du courrier papier. Donc j’ai passé deux jours à mettre des prospectus dans des enveloppes, à 18 piges, j’avais autre chose à foutre de mon temps. Il se trouve que cet oncle est raciste, donc ça me faisait encore plus chier. Mais je le fais. Comme je lui ai donné un coup de main, l’oncle veut me faire plaisir, je ne peux pas lui enlever ça. Il propose d’aller chez le disquaire de ma ville et de me payer deux CD de mon choix. J’ai pris le Snoop et le premier B.O.S.S... J’avais l’impression de me venger de ses idées merdiques en le faisant raquer pour de la musique faite par des gens qu’il n’aime pas, tu vois le truc...
Monsieur Saï : Haha excellent. Ecoute le son tonton !
Mo The Dude : Il n’a pas cherché à savoir, il est passé à la caisse, il n’a pas fait de remarque en voyant Snoop sur la cover avec les trois pitbulls haha. Moi j’étais refait, je dois bien l’avouer.
Monsieur Saï : C’est marrant l’album a une aura un peu, dans l’achat.
Mo The Dude : Ouais il a sa petite histoire. En réalité, si on ne me l’avait pas offert, je ne sais pas si j’aurais mis un billet, malgré le mag, les photos etc. Je l’aurais chopé plus tard ou j’aurais zappé et je l’aurais découvert à un âge où les coups de cœur sont plus difficiles à obtenir.
Monsieur Saï : Du coup ça a été la claque direct ?
Mo The Dude : Pas direct - à l’exception du track “Snoopafella” que j’ai kiffé de suite. Mais le temps qu’il m’a fallu pour rentrer dedans se compte en nombre d’écoutes, pas non plus en mois ou années. Il m’a juste fallu le temps d’appréhender ce son qui était west coast mais pas G-Funk avec un peu de cette vibe No Limit même si finalement elle est peu présente. Je me souviens d’une écoute en particulier, tout seul chez mes parents, avec le son un peu fort, je me fais un kif - ça devait être le bon moment pour ça - et tout à coup il y a eu un déclic. Soudain je suis rentré dans l’album, ou plutôt il m’est rentré dedans. Chaque morceau me faisait tripper, genre le gros voyage. Et ce jour-là, j’ai su qu’il s’installerait dans mon panthéon pour toujours. Ça ne s’explique pas vraiment. C’est ce que j’aime appeler “l’expérience auditeur”, un truc très personnel, une rencontre, un momentum. Et toi ?
Monsieur Saï : Kiffé oui mais pas le truc mémorable au départ. Je vois carrément ce que tu dis sur le son qui n’est ni G-funk ni No Limit, c’est aussi l’impression que j’ai eue. Dans un premier temps, j’ai kiffé ce funk chelou, je faisais surtout tourner l’album pour bouger la tête. Et c’est avec le temps que j’ai vraiment écouté les flows, décortiqué les arrangements et que des portes se sont ouvertes. Et c’est des années plus tard que j’ai réalisé que j’écoutais souvent l’album et que je le connaissais par coeur, je me suis dit : ah ouais mais c’est une tuerie ce truc en fait ! Par exemple sur le premier track, l’arrivée des instruments, basse, puis guitare, puis drums, puis Snoop qui part sur la snare, c’était malin, ce groove de fou. D’ailleurs j’aimerai causer des beatmakers à un moment.
Mo The Dude : On va en causer ouais. Ce premier track dont tu parles, c’est “Buck’em”. Incroyable prod de Dre. C’est le grand retour de l’association Snoop/Dre, ils n’avaient plus collaboré depuis “Doggystyle”, enfin, officiellement.
Monsieur Saï : Ouais et un Dre surprenant, pas de gros kick ou de caisse claire de 12kg, c’est hyper léger.
Mo The Dude : Sur ce morceau, oui. Une sorte d’ambiance vicelarde et nocturne, faussement chill et Snoop qui arrive tel un prince de la crapulerie.
Monsieur Saï : Mais oui. Et Sticky Finger qui ramène un côté caniveau aussi. Un assemblage aux petits oignons.
Mo The Dude : Pour un premier track ça envoyait une atmosphère en mode... on vous met pas un tube, mais on vous plonge direct dans un mood bien smooth thuggish quoi.
Monsieur Saï : En effet pas un tube, y avait un côté bizarre.
Mo The Dude : Parlons des beatmakers du coup, et de la couleur globale de l’album que je trouve assez unique.
Monsieur Saï : Ouais il est à la fois très cohérent mais quand même varié avec le funk en point commun.
Mo The Dude : Oui. Et de loin, encore une fois, on pourrait penser que l’album est vraiment un produit No Limit, ce qui n’est pas du tout le cas, on parlait de l’aspect visuel au début, mais musicalement aussi, c’est un trompe l’œil. Par exemple, il n’y a que deux prods des Beat By The Pound (de KLC en l’occurrence) qui, avec le recul, sont basiques dans leur genre et très No Limit, mais qui s’intègrent au reste.
Monsieur Saï : C’est vrai qu’elles sont basiques. Mais “Down for my niggaz” c’est un peu la folie. C-Murder est déchainé sur le son.
Mo The Dude : Oui c’est un beau bordel, bien la guerre. Ça tranche légèrement avec le reste mais ça passe. En fait, c’est autant un morceau de Snoop qu’un morceau de C-Murder. Il est aussi sur l’un de ses albums (“Trapped in crime”, 2000)... Ils devaient leur manquer de quoi remplir, ils ont été re-piquer ce qui est un banger quand même, faut reconnaître.
Monsieur Saï : Ouais, la base de cuivre est quand même bien crade haha.
Mo The Dude : Hehe oui. Pour revenir sur la couleur musicale de “Top Dogg”, on le disait plus haut : ce n’est donc plus le son No Limit de “Da Game is...“ mais ce n’est pas G-Funk comme “Doggystyle”. Ce n’est pas non plus le son de “Tha Doggfather”, et encore moins celui de “Tha Last Meal”. C’est une autre subtile variation de gangsta rap californien, enfin je trouve, c’est peut-être moi qui projette un truc et qui exagère à vouloir en faire un album à part, mais j’ai toujours eu ce sentiment assez inexplicable.
Monsieur Saï : "Da game is..." a été fait comme tous les albums No Limit et là Snoop a tout fait à sa sauce avec d’autres artistes.
Mo The Dude : C’est ça.
Monsieur Saï : Master P a dû négocier avant de laisser carte blanche. Je me dis que le fait que "Da game is..." soit un album No Limit lambda devait faire partie du deal.
Mo The Dude : Y a de ça. Snoop a déclaré dans une itw de l’époque qu’il considérait normal que sur le premier album, il endosse le rôle du bon soldat mais que sur “Top Dogg”, il a obtenu beaucoup plus de liberté. Et puis Master P n’est pas idiot, il s’est dit que pour satisfaire les déçus de "Da Game is..." fallait quand même laisser Snoop revenir dans le style west. D’où “Top Dogg” et après “Tha Last Meal” que plein de gens ont kiffé car ça correspondait à ce qu’ils attendaient de Snoop.
Monsieur Saï : J’ai bien aimé "Tha Last meal" aux premières écoutes parce que je trouvait qu’il poussait le délire plus loin, mais au final je m’en suis lassé assez vite. Tu penses que Master P savaient que les gens seraient déçus de "Da Game is..." ?
Mo The Dude : Il ne pouvait pas prévoir, et tout ce qu’il touchait se transformait en or, mais il a pu se dire, ok, je le laisse faire sa west coast shit, parce qu’il en a envie/besoin et c’est aussi ce que les gens veulent. Sachant que c’est un son qu’il connaît et qu’il apprécie. Il a vécu à Richmond près de San Francisco, de 90 à 95 environ, avant de revenir à New Orleans. Les premiers albums No Limit sont très west. En même temps je dis ça mais “Da Game is...” a été double platine quand même...
Monsieur Saï : Il a vendu mais il s’est fait descendre.
Mo The Dude : C’est vrai que ventes et réception critique sont deux choses différentes mais pour P, la réception critique ne doit pas peser lourd face aux chiffres.
Monsieur Saï : Bonne question... Il est quand même intense quand il rappe le gars, il doit être un peu passionné par le son. Mais de toute façon l’association Snoop/No Limit n’est pas déconnante de base.
Mo The Dude : Clairement pas déconnante. Le son No Limit allait bien à Snoop, ses apparitions sur les albums des autres rappeurs du label sont toujours cools, il déroule sur les prods des Beat By The Pound. Je pense qu’ils ont considéré avoir sorti un bon album avec “Da Game is...” et fondamentalement c’est le cas. Mais ce n’était pas ce que certains fans et un certain nombre de personnes allergiques au son No Limit voulaient pour Snoop. Et ce n’était pas ce que Snoop voulait non plus, en réalité, donc il a rectifié le tir avec la bénédiction du patron. Il aurait commencé à bosser sur “Top Dogg” dès 98 d’ailleurs.
Monsieur Saï : Par contre c’était surprenant de ne pas entendre Master P sur “Top Dogg”.
Mo The Dude : C’est vrai ! Alors qu’il est deux fois sur “Tha Last Meal”, donc pas d’embrouille à priori... Pour revenir sur les producteurs, c’est donc le come back de Dre pour trois prods. Snoop dit dans le mag RER, qu’ils ont mis un peu de temps à retrouver la vibe, mais on apprend au passage qu’ils avaient déjà recommencé à faire du son ensemble avant “Top Dogg”. Snoop avait posé des morceaux destinés à ce qui sera “Chronic 2001”. Et c’est vrai que le track “Bitch Please” avec Xzibit, a ce rendu sonore qu’on retrouvera sur le classique de Dre, c’est à dire ce son de blockbuster rond et puissant qui va redéfinir la couleur de pas mal d’albums mainstream par la suite. Aussi bien c’est un track issu d’une session pour “2001”. La prod me fait aussi penser à celle de “X” de Xzibit. Dre avait trouvé un son et il tournait autour, cette fois avec les gros kick et les caisses claires de 12kg comme tu disais plus haut.
Monsieur Saï : Ouais clairement dans un délire 2001 mais le son est mortel. Petite anecdote : comme j’ai tardé pour écouter cet album, j’ai d’abord entendu “Bitch please II” sur “Marshall Mathers”, avant celle-ci. Au final j’aime mieux cette version parce qu’elle est plus bordélique au niveau de l’enchaînement des MCs. Sinon, parmi les producteurs sur “Top Dogg”, celui qui m’a tué c’est Meech Wells. Je ne connaissais pas et ses sons sonnent presque acid-jazz (oui tout le monde a oublié l’acid-jazz). Et pour Snoop c’était un boulevard, il rappait comme jamais avec des refrains chantés, des petits arrangements etc...
Mo The Dude : Ouais, Meech Wells, c’est très bon ! Je n’ai pas masse d’infos sur lui. C’est le fils de Cecil Womack (un des Womack Brothers) et de Mary Wells, une chanteuse. Il a beaucoup bossé avec Snoop. En fait il était déjà à la prod de trois morceaux sur “Da Game is...”, où c’est l’un rares prodos non affilié No Limit. Sur “Top Dogg” il lâche six prods, c’est lui le plus présent, c’est le fil rouge de l’album en fait, et il ramène un vrai truc. Cette couleur singulière que j’ai du mal à expliquer mais qui me fait tant kiffer, c’est à lui qu’on la doit finalement.
Monsieur Saï : Et je ne sais pas si ça t’a marqué aussi, mais sur “Top Dogg” y a beaucoup de morceaux avec des tempos assez speed. Ça marche de ouf mais ça m’avait fait bizarre pour du Snoop.
Mo The Dude : A l’époque ça ne m’avait pas marqué, enfin pas consciemment, mais avec le recul c’est vrai que c’est particulier. C’est ce qui rend l’album unique, définitivement et en fait... c’est la touche Meech Wells justement ! Les beats un peu uptempo, les subs et les petits sons funky de l’espace. “Betta Days”, “My heat goes boom”, “G Bedtimes stories”, “Gangsta ride”... c’est lui tout ça. Y a pas de hasard !
Monsieur Saï : Voilà, ça joue sur la couleur de l’ensemble. Il y a Ants Banks aussi.
Mo The Dude : Il vient d’Oakland lui, mais je ne sais pas si on peut dire qu’il ramène la vibe de la Bay, car il n’a qu’un seul morceau, “Snoopafella”, qui est une reprise quasi identique de “Cinderfella Dana Dane”, un morceau de 87 de Dana Dane, un rappeur old school proche de Slick Rick. Snoop fait le coup de la reprise comme sur “Doggystyle” et “Tha Doggfather”. C’est le petit détail pour dire qu’il a le contrôle de la D.A. D’ailleurs, la cohérence de la DA sur cet album m’épatera toujours, ça s’est un peu perdu par la suite.
Monsieur Saï : Oui et non d’après moi. C’est vrai qu’il est un peu parti dans tous les sens après, mais il a toujours tenté des trucs, depuis le début. Et sur celui-ci il a commencé à s’éloigner d’un gangsta rap brut, je trouve. Entre retour aux sources et explorations musicales.
Mo The Dude : C’est vrai qu’en plus des rythmiques rapides que tu a évoquées, il y a un côté un peu RnB, ça croone, y a plein de refrains hyper mélodieux - t’as quand même Raphael Saadiq sur l’album - mais ça reste thug. Le morceau avec Saadiq est terrible. Ça chantonne avec le flingue à la ceinture.
Monsieur Saï : Carrément, Raphael Saadiq est méga suave, mais il fait quatorze fois le refrain c’est trop long.
Mo The Dude : C’est vrai qu’il est vocalement présent. Et il fait la prod, c’est son morceau en fait.
Monsieur Saï : C’était aussi les débuts de la nu soul et Snoop a peut-être voulu mettre un pied dedans.
Mo The Dude : Je ne saurais dire mais c’est cohérent avec son côté laid back inaltérable.
Monsieur Saï : Clairement. T’as un top 3 sur l’album ?
Mo The Dude : Buck’Em / Snoopafella / In love with a thug / Something bout Ya Business.
Bon, ça fait quatre.
Monsieur Saï : Des choix cohérents !
Mo The Dude : C’est mon côté smooth criminal. Et toi ?
Monsieur Saï : Quatre aussi du coup : Buck’em / G bedtime stories / Down 4 my N’s / Party with a DPG.
Mo The Dude : G Bedtime Stories, j’aurais pu le mettre aussi.
Monsieur Saï : Le couplet qu’il envoie !
Mo The Dude : On est vraiment sur ce truc uptempo dont tu parlais, assez étonnant. Ça file, ça rebondit.
Monsieur Saï : Ouais, il galope le morceau.
Mo The Dude : C’est mon Meech Wells ! Si on voulait pousser l’analogie un peu loin, on pourrait rapprocher ce track de ce que fait la Stinc Team depuis quelques années. Un Ralphy The Plug sur cette prod ce serait pas délirant. En plus le morceau est court, ce qui correspond aux formats d’aujourd’hui. Pour l’époque c’était un interlude quasiment. Bon et en parlant de top, du coup “Top Dogg” c’est ton album préféré de Snoop carrément ?
Monsieur Saï : Ouais, franchement. Je me dis que marketé différemment il aurait pu faire un carton type "2001".
Mo The Dude : Ah ouais ?
Monsieur Saï : Je m’emballe un peu, il y a quand même un côté plus ou moins underground sur “Top Dogg”. Mais je le vois comme un classique de seconde zone.
Mo The Dude : Classique de seconde zone ça lui va bien ! Même si c’est chelou de parler de seconde zone pour un album de Snoop. Mais je vois l’idée.
Monsieur Saï : C’est clair. Millionnaire de seconde zone !
Mo The Dude : Hehe, oui. Tu parles de marketing et comme on le disait au début de notre échange, cet album estampillé No Limit, faisait partie d’un flot de sorties. Alors que “Chronic 2001”, outre ses qualités intrinsèques de composition et d’ingénierie sonore, c’était un blockbuster annoncé et revendiqué, enfin c’est l’impression que ça donnait. L’album de Snoop reste adressé à un certain public, il est moins rassembleur. Les morceaux très grand public de Snoop arrivent plus tard. J’entends par là, les morceaux que même ceux qui n’écoutent pas de rap connaissent (et qui ont été massivement diffusés).
Monsieur Saï : “Chronic 2001” a été matraqué et le casting était dingue. No Limit n’avait pas la même force de frappe, même s’ils avaient conscience que Snoop était un atout marketing.
Mo The Dude : Bon, moi je mets “Doggystyle” avant parce que je l’adore mais “Top Dogg” en deux juste derrière, tout proche. Je pourrais ne garder que ces deux albums de Snoop, virer tous les autres et je serais déjà très heureux.
Monsieur Saï : Ayant découvert “Doggy...” en parallèle, je le kiffe aussi mais “Top Dogg” m’a plus pris par les sentiments, je ne sais pas pourquoi.
Mo The Dude : C’est la magie de l’expérience d’auditeur. Et c’est pour ça que t’as des débats enflammés entre les amateurs, alors qu’à un moment... ça ne sert plus à rien, c’est des zones dans le cerveau qui s’allument. Des sentiments comme tu dis, des émotions, rien de rationnel.
Monsieur Saï : Ouais j’aime bien les gens qui te conseillent un album, c’est le pire de l’artiste mais c’est celui qu’ils préfèrent.
Mo The Dude : J’adore. C’est du vrai sentiment ! Avec des raisons tellement subjectives !
Monsieur Saï : Carrément d’accord, les gens qui parlent d’objectivité en musique ça me
saoule.
Mo The Dude : C’est une bonne conclusion.
Monsieur Saï est un rappeur manceau actif depuis 2008, auteur de textes politiques, autobiographiques ou de storytelling. Il a fondé le label Mauvais Sang, et compose des objets sonores vaguement horrifiques sous le pseudo Emma Goldman.
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Moïse The Dude est un rappeur parisien actif depuis le début des années 2000. Son dernier EP "Da Croona 2" est disponible sur les plateformes : https://distrokid.com/hyperfollow/m...
MC Blue Matter est un artiste parisien reconnu pour ses centaines de pochettes dans le hip-hop et le jazz. Son univers visuel l’a amené à collaborer avec des figures comme Digable Planets, Illa J, Blu ou Bahamadia : https://www.instagram.com/mcblue_ma...