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Focus

Interview de Brice Miclet, auteur de "Sample ! Aux origines du son hip-hop"

Aux origines du sample dans le rap américain

Tis, le 27 février 2018

A l’occasion de la sortie de son premier livre "Sample ! Aux origines du son hip-hop" sorti chez Le Mot et le reste, nous avons rencontré Brice Miclet pour parler de l’utilisation du sample dans le hip-hop. Une interview fleuve autour de l’échantillonnage, parsemée d’anecdotes et de références et éditée pour plus de clarté.

Brice Miclet - Photo : © Alan Scaviner

Bonjour Brice. De la musique concrète aux expérimentations dub de Lee Scratch Perry, de nombreux courants musicaux ont utilisé l’échantillonnage à différentes époques... Est-ce que tu peux nous présenter comment t’es venu cette idée de réaliser un livre autour du sample, et plus particulièrement focalisé sur son utilisation dans la musique rap ?
Déjà, c’est un attrait personnel pour le rap, pour le hip-hop américain. Je me serai bien intéressé à tout le sampling depuis ses débuts, j’ai même hésité à revenir à la notion de thèmes dans la musique. Mais il fallait vraiment cibler sur le hip-hop sinon j’allais perdre les gens. Il n’y avait quasiment rien d’écrit sur le sampling, y compris technologiquement, quelques études universitaires mais pas grand chose d’autre... Il y avait un creux. Au vu de ma passion pour le hip-hop et pour les autres styles de musique, c’était finalement assez logique de s’intéresser au sampling, vraiment axé hip-hop. Parler du rap américain c’est parce que c’est le berceau et mon goût personnel est plus orienté vers le rap US. Les innovations technologiques et techniques liées au sampling ont été faites dans le rap américain principalement. Globalement, c’est un choix assez arrêté.

Tu listes dans ton livre un grand nombre de samples, allant des débuts du hip-hop jusqu’à 2017. Comment s’est réalisé cette sélection de samples, quels ont été tes critères de choix ?
Tout d’abord, il y avait une volonté de représenter toutes les époques, de faire un panorama au niveau chronologique. C’est important de montrer qu’il n’y a pas que le "vieux hip-hop", le "golden era", qui ont samplé, mais également de montrer qu’aujourd’hui le sample n’est pas mort.
Plein de choses sont entrées en jeu, notamment le fait de ne mettre qu’un sample par artiste sampleur a été assez important. C’est un deal avec la maison d’éditions qui fait ça dans toutes leurs anthologies. Au début, je me suis dit que ça allait être compliqué et je me suis retrouvé obligé d’enlever des trucs trop bien, des Nas, plusieurs Dr Dre... Finalement c’était un mal pour un bien car je me suis retrouvé à parler de choses dont je n’aurai sûrement pas parlé, des choses comme Jedi Mind Tricks, Pacewon & Mr. Green… Il fallait aussi trouver un équilibre dans les artistes samplés. Il fallait parler de la soul et du funk, de la musique noire américaine des années 60/70 qui a été la base de la musique samplée. Il fallait aussi montrer le sample comme un truc qui touche vraiment à tout, trouver des samples qui venaient d’un peu partout, de tous les continents, de pays différents, de scènes différentes, d’époques différentes. C’est une suite d’équilibres à trouver et c’était le plus long à faire durant la préparation du bouquin. En terme de réalisation, le livre m’a pris un an et demi dont environ un an et trois mois à me documenter sur le sujet, à faire des listes, des tableaux de samples par année, à retirer des samples, à en ajouter, etc. Et ensuite dans le dernier rush, écriture à fond durant trois mois.

Comment définirais-tu un "bon sample" ? Quelles en seraient ses caractéristiques d’après toi ?
C’est compliqué comme question ! En fait, je n’ai pas vraiment de réponses car il y a plein de manières différentes de sampler. Je ne vois pas vraiment le sample comme un truc à part, comme une sous-discipline. Un bon sample c’est ce qui donne un bon morceau tout simplement. Après il y a des samples que je trouve pourris : des samples ultra grillés, avec juste la boucle de deux mesures à la Puff Daddy. C’est moins intéressant. J’aime plus les trucs à la Stones Throw que je trouve plus intéressant techniquement. Un bon sample c’est juste un bon morceau de hip-hop avec un sample dedans. Un mauvais sample, c’est juste un truc trop facile qui devient trop proche de la reprise.

Oliver Nelson - Opening (Ironside)

Madvillain - All caps

Dans l’introduction de ton livre, tu parles de la SP-1200 comme machine ayant joué un rôle central dans le sampling : peux-tu nous en dire plus ?
Pour plusieurs raisons : tout d’abord elle est devenue abordable à un moment pour les gens. Un sampleur restait cher et pouvait coûter plusieurs milliers de dollars à une époque. Pas beaucoup de gens possédaient le SP-1200 en 87/88. Mais quand même, c’est ce qui a permis de sampler facilement. Le son hip-hop a changé tout de suite, de façon rapide. Il faudrait poser la question à des beatmakers qui seraient plus à même de répondre techniquement, mais il y a vraiment un grain de la SP-1200 qui a ensuite été reproduit dans d’autres sampleurs. Voila pourquoi cette machine a joué un rôle clé. Elle a également un temps d’échantillonnage plus long que la SP-12 sortie avant. Cela a aussi permis de faire d’autres choses. Il y a des petites techniques qui sont expliquées dans le livre qui ont été utilisées par les producteurs pour apprivoiser un sample, notamment en enregistrant un sample accéléré puis en le dépitchant dans le sampleur. Cela a façonné le son hip-hop et la manière de sampler.

De DJ Premier à Metro Boomin, le sampling semble être devenu un procédé de création musicale relativement banal dans la musique aujourd’hui. Dans ton livre, tu évoques cependant différentes techniques et évolutions en fonction notamment des époques (merry go round, chopping, etc.)... Comment t’es-tu documenté sur ces différentes techniques ? As-tu eu l’occasion d’en discuter avec des producteurs ? Qu’est-ce qui selon toi explique cette évolution des techniques utilisées ?
D’abord, je lis beaucoup de livres sur la musique. C’est aussi pour cela que j’avais envie d’écrire ce livre. Pour moi tu ne peux pas écrire un livre sur la musique sans lire les autres livres sur la musique, c’est inconcevable. Il y a eu, entre autres, les bouquins d’Amir Said, The Art Of Sampling et surtout The BeatTips Manual qui sont un peu des bibles là-dessus, très techniques. La réflexion est vraiment axée sur le processus créatif du beatmaking même s’il ne raconte pas vraiment d’histoires. Après, Internet et toutes les interviews vidéos de producteurs qu’il peut y avoir sur les sites de hip-hop américains, les vidéos de Red Bull Music Academy que je trouve vraiment mortelles... Quand on s’intéresse à la technique de production hip-hop, même de musique électronique, c’est vraiment indispensable, qualitatif. L’interview de Marley Marl qui invente le sampling moderne, est une mine d’informations, bourrée d’anecdotes. Des livres, des interviews d’artistes et puis j’ai également discuté avec quelques producteurs : Coldcut, The Olympicks, Sully Sefil qui a produit pour NTM entre autres...
Après, c’est la technologie qui change la manière de sampler et le fait de sampler mène aussi à de nouvelles technologies. Les entreprises ont commencé à prendre conscience à ce qui se faisait dans le hip-hop et à adapter leurs produits à la musique qui était produite à cette époque-là. Le hip-hop est vraiment une musique qui est inscrite dans la technologie, c’est une musique électronique majoritairement. Donc oui, c’est la technologie qui explique cette évolution.

Charles Aznavour, Cortex... Quelques artistes français samplés figurent dans ton livre... Comment expliquerais-tu outre-atlantique un tel attrait pour la musique française ?
Il y a Thomas Bangalter samplé par Slum Village aussi ! En fait, c’est un truc qu’on se dit en France : Gainsbourg par De La Soul, Aznavour par Dr. Dre, on a été vachement samplés… mais en fait on n’a pas été plus samplé que les autres. C’est juste que c’est un livre destiné au public français, j’avais envie de montrer qu’il y avait des choses sympas dans la musique française qui avaient été samplées. J’aurai ainsi pu parler de Mike Brant samplé par Dr. Dre pour Eminem. C’était plus pour mettre un ancrage français. Dans le livre, je voulais que les gens, même s’ils ne connaissent pas le hip-hop ou le sampling, puissent découvrir de belles histoires. Avoir des samples français, c’était un bon moyen de raconter l’histoire des Cortex, Aznavour, François de Roubaix...

Thomas Bangalter - Extra Dry

Slum Village - Raise it up

Dans la revue Volume !, Maxence Deon évoque l’échantillonnage dans le rap comme un choix esthétique, caractéristique de la sonorité des artistes. Certains producteurs (je pense notamment à Daringer de l’écurie Griselda Records) se sont justement fait un nom récemment en travaillant leurs productions autour de boucles lentes et répétitives sans découpage marqué du sample, avec un ajout d’éléments rythmiques très faibles. Est-ce que le choix des samples utilisés définit encore selon toi l’identité du producteur ? Quels sont selon toi les producteurs actuels qui disposent aujourd’hui d’une identité forte ?
Je ne crois pas... Je pense qu’aujourd’hui les mecs samplent de tout. Dans les producteurs aujourd’hui, des No ID, des Sounwave, ils samplent tout. Nineteen85 pour DVSN et certaines choses pour Drake... No ID c’est vraiment un des gars aujourd’hui qui est très fort là-dedans. Il a fait plein de prods. intéressantes sur le dernier album de Jay-Z. Metro Boomin fait un peu de samples, même si on n’a pas l’impression. Ils sont quasiment inaudibles, ils sont passé dans la MAO, tu as l’impression qu’ils n’ont plus du tout ce côté crado, mais il y a encore des samples. Il y a Brian Kidd aussi. Le sample n’est pas mort du tout.

On retrouve sur le dernier album de Maxo Kream des samples de Tame Impala ou encore du classique Nautilus de Bob James. Quel est l’intérêt d’après toi d’utiliser un sample tiré d’un morceau connu ou déjà extrêmement samplé (et donc facilement identifiable par l’utilisateur final) ?
Quand tu lis des interviews de producteurs, ils te disent que si les boucles ont été tant samplées, c’est quelles sont mortelles, qu’elles ont un groove particulier, dur à reproduire, alors elles sont réutilisées. Je ne connais pas la proportion d’hommages, de "je vais me faire un beat avec The Big Beat de Billy Squier parce que c’est un truc qui se fait", c’est difficile à dire. Ce qui est sûr c’est que ces boucles-là ont un intérêt fort aujourd’hui. En MAO, si tu veux reproduire le sample de Get up offa that thing de James Brown, je pense que tu vas galérer. Ou reprendre la snare de N. T. de Kool & The Gang avec sa reverb très particulière, ce n’est pas évident non plus. C’est tout simplement parce que cela reste de bonnes batteries, de bonnes bases. Après entre producteurs, il y a aussi une sorte de tradition qui doit exister, c’est certain. The Jam de Graham Central Station a été utilisé par énormément d’artistes parce que c’est un bon breakbeat. Cela oriente aussi la manière de composer. Quand tu pars d’un certain breakbeat, tu as envie de faire du rap d’une certaine manière pour arriver à un certain résultat.
Concernant les boucles, quand Kanye West sample Strange Fruit de Nina Simone, il y a un hommage et une référence évidente. Quand c’est Jay-Z qui sample Nina Simone sur The story of O.J.. Tu ne samples pas n’importe quelle chanson de Nina Simone mais des chansons avec une dimension politique et sociale importante, donc ce n’est pas hasardeux. Kanye West, c’est le mec qui fait des samples grillés, mais qui arrive à en faire des trucs de ouf. Un sample grillé n’est pas forcément un mauvais sample. Pour les gens qui aiment bien le sample, c’est parfois mieux d’aller chercher des trucs inconnus. Mais Blood on the leaves de Kanye West est l’exemple parfait du truc ultra-grillé mais qui reste très bon.

Avec des sites comme Whosampled, il devient désormais très facile de retrouver un sample utilisé. Ces initiatives ont parfois été critiquées par certains producteurs qui souhaitaient conserver l’anonymat de leurs samples originaux. D’après toi, est-ce que révéler les secrets de fabrication d’un morceau ne nuit pas à la magie du sampling ?
En fait, je pense que pour le producteur oui, peut-être. Certains producteurs assument complètement, vont révéler et créditer leurs samples. Je pense que c’est au cas par cas. Je pense qu’un sample n’a pas vocation à être planqué, il va permettre de découvrir d’autres musiques. Il y a un côté cool à sampler des trucs inconnus. Le sample de Shook Ones, pt. II de Mobb Deep est l’exemple parfait du sample qui est resté planqué. Il y a un côté un peu magique à chercher d’où sort le sample. Maintenant qu’il est sorti, c’est un peu moins ludique... A titre personnel, j’aime bien avoir les comparaisons des deux, le morceau qui sample et l’original. Je suppose que beaucoup de puristes du sample doivent cependant s’arracher les cheveux à retrouver des samples.

Herbie Hancock - Jessica

Mobb Deep - Shook Ones, pt. II

Avec Internet et son offre pléthorique de contenus audio mis à disposition au plus grand nombre, il n’a jamais été aussi facile qu’aujourd’hui de découvrir de la musique. Comment perçois-tu l’évolution du "digging" ?
Je ne sais pas si le digging évolue énormément ces dernières années... Il évolue sur Internet, avec la manière dont on trouve maintenant. Je suis allé en Afrique du Sud il n’y a pas longtemps et j’ai rencontré un mec qui dealait des vinyls de bubblegum, qui les vendait à des mecs à Lyon par Skype. Platine d’un côté, les mecs écoutaient de l’autre côté et disaient "vas-y celui-ci on l’achète, tu nous l’envoies". C’est incroyable, les mecs peuvent écouter à l’autre bout du monde, cela ouvre à des possibilités de fou. J’ai vu un reportage sur le seul disquaire de Nairobi qui se fait assaillir d’occidentaux, qui a galéré pendant des années et qui aujourd’hui arrive à vivre de son truc. Arte a fait un bon docu sur des diggers au Liban. Dans le monde arabe, ça diggue à mort, la world music... Après je pense que l’on reprend aussi des albums de soul. Le son hip-hop évolue : il y a 15 ans, on n’aurait peut-être rien trouvé et on va trouver quelque chose aujourd’hui, intéressant à sampler pour le son actuel. Encore une fois, ça dépend du producteur, c’est au cas par cas, producteur à producteur.

La Three 6 Mafia a été un des premiers groupes de rap à sampler une boucle provenant d’un morceau de rap avec le titre Gotta Touch ’Em (pt.2) en 1995... et cette vague semble grossir aujourd’hui avec de plus en plus d’utilisation dans le rap de samples provenant de morceaux rap antérieurs (JPEGMafia qui reprend ODB, Ski Mask The Slump God qui sample Missy Elliott, Southside qui resample sa production de Perkys calling pour Mood de Lil Uzi Vert...). Est-ce que le serpent ne se mord pas la queue ?
On en a discuté dans une autre interview avec Puzupuzu qui est un producteur de house qui sample énormément. C’est pas exclusif à notre époque. Tu regardes tous les mecs qui ont samplé Rebel without a pause de Public Enemy, tu as beaucoup de mecs qui ont samplé South Bronx des Boogie Down Productions... C’était peut-être plus furtif, vachement plus axé sur la rythmique. Aujourd’hui c’est vrai que l’on retrouve vraiment des doubles niveaux de sampling et ce qui est rigolo c’est que tu ne sais pas qui sample qui au final. Le mec qui sample un titre de hip-hop qui contient déjà du sample : est-ce qu’il sample l’original ou est-ce qu’il sample au final l’artiste samplé au départ ?

Rodney O & Joe Cooley - Everlasting bass

Three 6 Mafia - Gotta touch ’em (pt. 2)

Tu évoques d’ailleurs dans ton livre Erykah Badu qui sample Xxplosive de Dr. Dre qui est déjà un replay du Bumpy’s Lament de Soul Mann & The Brothers...
Effectivement c’est ça, je considère que c’est l’artiste original qui est toujours samplé. Après, si tu mets trois niveaux de samples, tout dépend de comment c’est fait. Si tu samples un scratch de DJ Premier qui samplait déjà du Les McCann (dans Ten crack commandments ndlr), tu samples DJ Premier, pas vraiment Les McCann, c’est trop dénaturé. Mais dans la plupart des cas, dans le principe premier, tu samples quand même l’original avant tout. Mais oui le serpent se mord la queue, probablement depuis plus longtemps, depuis le début des années 90, notamment avec les rythmiques ou scratchs de voix.

Joseph Glenn Schloss dans Making Beats : The Art of Sample-Based Hip-Hop soutenait que l’utilisation de disques vinyles est un gage d’authenticité pour les beatmakers... Hors, depuis quelques années, sampler du vinyl, voir sampler des oeuvres déposées indépendamment du format, semble ne plus être la norme dans le rap, notamment dans la trap, pour des raisons multiples (productions réalisées en studio sans recours au sample ; si ce n’est à des kits pré-crées, procès aux coûts pharaoniques diminuant l’attrait d’échantillonner, complexités de sortir un album du fait des difficultés liées au clearing, etc.)... le sample est-il condamné d’après toi ?
Non, pas du tout. Si c’était un problème de droits, un problème de MAO, le sample serait déjà mort... Le hip-hop est quand même vachement tourné vers les autres musiques depuis ses débuts et l’est toujours. Il y a toujours une volonté de faire le cross-over en permanence, de vouloir être accepté comme un musique comme les autres, d’être l’égal des autres. Ce côté "c’est nous les rock stars" de Kanye, il y a toujours un truc un rapport avec les autres musiques... Même si à un moment on ne fait des instrus qu’à partir de sons générés, il y a toujours un côté "je regarde les autres musiques", ne serait-ce que pour se comparer, se positionner musicalement, artistiquement, culturellement, etc. Le sample rentre là-dedans. Les Kendrick, les très grands noms font ça : ils recyclent la pop culture. C’est une musique vraiment inscrite comme ça. Non le sample n’est pas mort, il se fera sûrement de manière différente plus tard. Pour moi, il n’est pas condamné, on peut en reparler dans 10 ans. Mais je ne pense pas que dans 10 ans, les producteurs se diront "on ne le fait plus". Il y aura toujours des gars pour revenir au sample, c’est trop inscrit dans l’ADN pour que ce soit condamné. C’est devenu un truc vraiment inconscient de l’industrie hip-hop, de regarder les autres cultures musicales, etc. En tout cas, c’est mon avis personnel.

Certains samples dorénavant ne proviennent plus de supports musicaux (physiques ou digitaux) mais de fragments tirés de vidéos provenant des réseaux sociaux (Kanye West qui sample une vidéo Instagram d’une fillette de 4 ans), d’extraits de concerts ou encore de banque de sons composées pour être samplées (Frank Dukes et sa KindswayMusic Library). En complément des différentes approches de samples citées, est-ce que l’on assiste à une nouvelle évolution du sampling ?
Ca me fait penser au début de Formation de Beyoncé, le sample vient d’une vidéo youtube, d’un mec qui parle dans les rues de la Nouvelle Orléans, c’est un truc planqué de chez planqué...
Je ne sais pas si on assiste à une nouvelle évolution... Tu prenais l’exemple des autres supports, c’est vrai que cela a explosé aujourd’hui. Sur DNA de Kendrick Lamar, il y a un extrait d’un journal de Fox News qui raconte que le hip-hop est plus nocif aux États-Unis que le racisme pour les jeunes afro-américains. En fait, je pense que c’est parce qu’on a beaucoup plus accès à ces supports-là aujourd’hui. Le hip-hop a toujours eu envie de tout sampler, assez tôt de sampler des extraits de films, etc. Aujourd’hui, on a accès à tellement de documents audio à portée de tout le monde qui deviennent viraux, des références, etc. Le sampling hip-hop a embrassé ça très vite. Je pense aussi que les banques de son qui sont à disposition des producteurs sont surtout plus variées et ça se ressent dans les samples. Mais il faut qu’un son fasse office de base, qu’il soit assez fourni pour être samplé. Je ne suis pas sûr que les vidéos Instagram fournissent ce genre d’éléments vraiment basiques, utilisables pour une prod. Je pense que ce sont plus des hommages ou références, je ne pense pas que ce soit une question d’éviter de payer des droits. La question des droits d’auteur est vraiment complexe. Aujourd’hui, les mecs vont payer. Dès qu’ils sortent un album, ils vont "clearer" les samples utilisés. C’est devenu moins cher de sampler aujourd’hui qu’avant. Si ils samplent des trucs Instagram, c’est parce qu’ils ont trouvé des trucs vraiment intéressants au niveau du son, une référence au niveau personnel. La question des droits je n’y crois pas trop personnellement.

Si tu dois nous citer un sample qui t’a marqué... Pourquoi ?
Je sors souvent le même mais c’est un des samples que je préfère. C’est un sample assez simple, c’est Mind playing tricks on me, le tube des Geto Boys. Ils samplent Hung up on my baby d’Isaac Hayes de 1974. Sur le couplet, tu as deux samples de guitares électriques qui sont samplées pour faire un amas de mélodies, j’en parle dans le bouquin. Sur le refrain, les rappeurs ne rappent pas, t’as juste une mélodie de guitare, super efficace, samplée aussi d’Isaac Hayes. Cette guitare est couplée avec le breakbeat tiré de The Jam de Graham Central Station dont on parlait avant. Et les deux matchent parfaitement. C’est le sample basique mais je trouve vraiment que cela représente ce côté simple, ultra efficace et tellement bon que les rappeurs ne rappent même plus sur le refrain. Et puis le morceau est mortel. C’est vraiment un sample que je kiffe particulièrement.

Isaac Hayes - Hung up on my baby

Geto Boys - Mind playing tricks on me

Pour finir, en tant qu’écrivain sur le sampling, si demain quelqu’un reprend des extraits de ton livre sans autorisation, tu réagis comment ? :)
[sourires] Je ne suis pas content. Ce n’est pas pareil, je ne suis pas dans un processus créatif, je ne suis pas véritablement un écrivain mais plus dans une démarche journalistique. Après si c’est un barjo, un artiste qui sample mon bouquin, qui en reprend des extraits pour les découper, les remettre dans le désordre, en faire un truc bizarre, ce serait rigolo, pour le côté détournement. Si c’est vraiment voler mon truc pour en faire rien de plus, ce sera juste de la fainéantise, je n’en vois pas l’intérêt. Le hip-hop sample pour faire quelque chose de plus, ils "volent" mais dans un processus artistique. Si on prend mes extraits de bouquin pour en faire le même bouquin, cela n’a aucun intérêt !

"Sample ! Aux origines du son hip-hop" de Brice Miclet est disponible sur le site des éditions Le Mot et le Reste et dans toutes les bonnes librairies.


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